éd. Le Bélial' et 42 (Ellen Herzfeld et Dominique Martel), 2015
trad. Pierre-Paul Durastanti, couv. Aurélien Police
« Elle plaque la feuille sur la table, face vierge exposée, et la plie. Intrigué, j'arrête de pleurer pour l'observer. Ma mère retourne le papier et le plie de nouveau, avant de le border, de le plisser, de le rouler et de le tordre jusqu'à ce qu'il disparaisse entre ses mains en coupe. Puis elle porte ce petit paquet à sa bouche et y souffle comme dans un ballon.
"Kan, dit-elle. Laobu." Elle pose les mains sur la table, puis elle les écarte. Un tigre se dresse là, gros comme deux poings réunis. Son pelage arbore le motif du papier, sucres d'orge rouges et sapins de Noël sur fond blanc.
J'effleure le petit animal qu'a créé Maman. Il remue la queue et se jette, joueur, sur mon doigt... »
Ken Liu est né en 1976 à Lanzhou, en Chine, avant d'émigrer aux États-Unis à l'âge de onze ans. Titulaire d'un doctorat en droit (université de Harvard), programmeur, traducteur du chinois, il dynamite les littératures de genre américaines, science-fiction aussi bien que fantasy, depuis une dizaine d'années, collectionnant distinctions et prix littéraires, dont le Hugo, le Nebula et le World Fantasy pour la seule « Ménagerie de papier », ce qui demeure unique à ce jour. Le présent recueil, sans équivalant en langue anglaise et élaboré au sein d'un corpus considérable, consacre l'éclosion du plus brillant des talents, protéiforme et singulier – l'avènement d'un phénomène.
"Kan, dit-elle. Laobu." Elle pose les mains sur la table, puis elle les écarte. Un tigre se dresse là, gros comme deux poings réunis. Son pelage arbore le motif du papier, sucres d'orge rouges et sapins de Noël sur fond blanc.
J'effleure le petit animal qu'a créé Maman. Il remue la queue et se jette, joueur, sur mon doigt... »
Ken Liu est né en 1976 à Lanzhou, en Chine, avant d'émigrer aux États-Unis à l'âge de onze ans. Titulaire d'un doctorat en droit (université de Harvard), programmeur, traducteur du chinois, il dynamite les littératures de genre américaines, science-fiction aussi bien que fantasy, depuis une dizaine d'années, collectionnant distinctions et prix littéraires, dont le Hugo, le Nebula et le World Fantasy pour la seule « Ménagerie de papier », ce qui demeure unique à ce jour. Le présent recueil, sans équivalant en langue anglaise et élaboré au sein d'un corpus considérable, consacre l'éclosion du plus brillant des talents, protéiforme et singulier – l'avènement d'un phénomène.
Regroupant dix-neuf des presque cent-vingt nouvelles de l'auteur, La Ménagerie de papier propose une palette que ce dernier considère lui-même comme étant « un échantillon représentatif de [ses] intérêts, de [ses] obsessions et de [ses] objectifs ».
D'une richesse étonnante et très souvent d'une grande profondeur, ces textes courts (1) confirment sans conteste qu'il était absolument nécessaire de publier un tel ouvrage en France.
Si les thèmes et genres abordés par l'auteur sont nombreux (2), il s'en trouve un, à mon sens, qui les relie tous : la difficulté rencontrée par l'esprit à transmettre ses idées, la quasi incapacité qu'éprouve l'être humain à se faire comprendre et à déployer l'effort nécessaire pour comprendre l'autre, que cet autre lui soit proche ou radicalement étranger.
Cette thématique commune, Ken Liu la présente magistralement dans l'avant-propos (3) qui ouvre le recueil, insistant bien sur la difficulté que représente la communication, allant jusqu'à taxer cette dernière de miracle.
Après avoir parcouru plusieurs critiques de ce recueil, je me réjouis de constater qu'il est très apprécié. Pourtant, beaucoup de propos me font penser que Ken Liu, malgré les louanges, n'est peut-être pas lu avec toute l'attention qu'il mérite et, du coup, sera paradoxalement sous-estimé. (4)
Entre diverses interprétations, beaucoup de lecteurs ont vu dans certaines de ses nouvelles des hommages à d'autres auteurs. Personnellement, je n'ai pas ressenti la même chose et je ne crois pas qu'un thème ou le traitement d'une idée fasse d'un texte un hommage à d'autres plus anciens ayant utilisé les mêmes.
Un exemple flagrant : « Nova Verba, Mundus Novus », une courte nouvelle enjouée (5) qui utilise la représentation du monde originaire d'Inde et présente dans la cosmogonie chinoise (le monde reposant sur le dos de quatre éléphants qui reposent eux-mêmes sur le dos d'une tortue qui est elle-même posée sur le dos d'un serpent) fait dire à de nombreuses personnes qu'il s'agit d'un hommage à Terry Pratchett et à son Cycle du Disque-Monde où l'on retrouve le même symbole. Peut-être... Mais les origines de l'auteur de cette nouvelle me font penser que cette interprétation est probablement erronée.
Sans la moindre fausse note, La Ménagerie de papier confirme l'immense talent d'un auteur et, comme beaucoup d'autres lecteurs, je vais surveiller attentivement la moindre publication de ses écrits chez nous, dans l'attente d'un autre miracle : la parution d'un second recueil.
Une merveille.
(1) Certains ne faisant qu'une ou deux pages, les plus longs ne dépassant pas quarante pages.
(2) De l'enquête policière à la science-fiction, de la fantasy à la transhumanité, du pastiche au questionnement sur la foi, du fantastique à l'expansion de l'être humain dans l'espace...
(3) Qui est disponible au téléchargement et dans son intégralité sur cette page (sous l'illustration de couverture).
(4) Mais je peux bien entendu me tromper et, sincèrement, c'est ce que je souhaite de tout cœur !
(5) S'interrogeant sur l'impact du langage sur la perception que l'on se fait du monde.
D'une richesse étonnante et très souvent d'une grande profondeur, ces textes courts (1) confirment sans conteste qu'il était absolument nécessaire de publier un tel ouvrage en France.
Si les thèmes et genres abordés par l'auteur sont nombreux (2), il s'en trouve un, à mon sens, qui les relie tous : la difficulté rencontrée par l'esprit à transmettre ses idées, la quasi incapacité qu'éprouve l'être humain à se faire comprendre et à déployer l'effort nécessaire pour comprendre l'autre, que cet autre lui soit proche ou radicalement étranger.
Cette thématique commune, Ken Liu la présente magistralement dans l'avant-propos (3) qui ouvre le recueil, insistant bien sur la difficulté que représente la communication, allant jusqu'à taxer cette dernière de miracle.
Après avoir parcouru plusieurs critiques de ce recueil, je me réjouis de constater qu'il est très apprécié. Pourtant, beaucoup de propos me font penser que Ken Liu, malgré les louanges, n'est peut-être pas lu avec toute l'attention qu'il mérite et, du coup, sera paradoxalement sous-estimé. (4)
Entre diverses interprétations, beaucoup de lecteurs ont vu dans certaines de ses nouvelles des hommages à d'autres auteurs. Personnellement, je n'ai pas ressenti la même chose et je ne crois pas qu'un thème ou le traitement d'une idée fasse d'un texte un hommage à d'autres plus anciens ayant utilisé les mêmes.
Un exemple flagrant : « Nova Verba, Mundus Novus », une courte nouvelle enjouée (5) qui utilise la représentation du monde originaire d'Inde et présente dans la cosmogonie chinoise (le monde reposant sur le dos de quatre éléphants qui reposent eux-mêmes sur le dos d'une tortue qui est elle-même posée sur le dos d'un serpent) fait dire à de nombreuses personnes qu'il s'agit d'un hommage à Terry Pratchett et à son Cycle du Disque-Monde où l'on retrouve le même symbole. Peut-être... Mais les origines de l'auteur de cette nouvelle me font penser que cette interprétation est probablement erronée.
Sans la moindre fausse note, La Ménagerie de papier confirme l'immense talent d'un auteur et, comme beaucoup d'autres lecteurs, je vais surveiller attentivement la moindre publication de ses écrits chez nous, dans l'attente d'un autre miracle : la parution d'un second recueil.
Une merveille.
(1) Certains ne faisant qu'une ou deux pages, les plus longs ne dépassant pas quarante pages.
(2) De l'enquête policière à la science-fiction, de la fantasy à la transhumanité, du pastiche au questionnement sur la foi, du fantastique à l'expansion de l'être humain dans l'espace...
(3) Qui est disponible au téléchargement et dans son intégralité sur cette page (sous l'illustration de couverture).
(4) Mais je peux bien entendu me tromper et, sincèrement, c'est ce que je souhaite de tout cœur !
(5) S'interrogeant sur l'impact du langage sur la perception que l'on se fait du monde.