Life After Life (2013)
éd. Le Livre de Poche, 2018
éd. Le Livre de Poche, 2018
trad. Isabelle Caron, couv. Studio LGF
11 février 1910 : Ursula Todd naît - et meurt aussitôt.
11 février 1910 : Ursula Todd naît - et meurt, quelques secondes plus tard, le cordon ombilical enroulé autour du cou.
11 février 1910 : Ursula Todd naît, le cordon ombilical menace de l'étouffer, mais Ursula survit.
Ursula naîtra et mourra de nombreuses fois encore - à cinq ans, noyée ; à douze ans, dans un accident domestique ; ou encore à vingt ans, dans un café de Munich, juste après avoir tiré sur Adolf Hitler et changé ainsi, peut-être, la face du monde...
Malgré ce que pourrait laisser supposer cette dernière phrase de présentation, (1) à mon sens, Kate Atkinson ne semble pas s'intéresser réellement à ce que pourrait être « la face du monde si... », mais se penche avant tout sur ce qu'est la face du monde quand. En effet, même si elle entretient plusieurs fois le doute autour de retours dans le temps plus ou moins conscients au cours de ce gros roman, (2) c'est avant tout d'actes et de choix qu'elle traite, avec toutes les réflexions que ceux-ci peuvent engendrer (qu'ils aient eu lieu ou non, d'ailleurs). (3)
Qui d'entre nous peut dire qu'il n'a jamais tenté l'expérience de pensée « et si Hitler... » ?
Ou bien, de manière plus... « pragmatique », qui ne s'est jamais demandé ce qu'aurait été sa vie s'il avait agi différemment dans telle ou telle circonstance ? Et, ce que l'on retrouve en filigrane dans le roman mais de manière soutenue : qui ne s'est pas surpris dans une situation qu'il lui semblait avoir déjà vécu, suggérant cette impression de déjà-vu, familière pour un grand nombre d'entre nous ?
D'une manière radicalement différente de celle de Moorcock (4) et sur un plus petit échantillon, l'autrice se penche sur une portion d'humanité et l'observe, la détaille méticuleusement, d'une manière bienveillante sinon amicale. (5) Si Ursula reste le point central, les bifurcations qu'elle (et parfois d'autres personnages) emprunte me paraissent parfois si différentes qu'elles font de l'héroïne une figure universelle.
Hitler ? Difficile de l'observer de près ou de lui prêter une pensée cohérente... Il reste néanmoins un excellent point focal pour situer le roman dans une période (largement installé sur les deux guerres, donc) durant laquelle il n'a pas dû être plus rare qu'aujourd'hui de frôler, voire côtoyer, des personnes en proie aux choix, au doute... (6)
Minutieux et riche, d'une justesse de vue et porteur de nombreuses réflexions, le roman, bien que traversant de bien sombres périodes, reste parsemé d'humour sincère (7) sinon d'éclats de rires qui peuvent « adoucir l'ambiance » et arriment encore un sentiment d'authenticité ressenti de la première à la dernière page. (8)
Bref, c'est une merveille dont je pourrais discuter pendant des heures sans me lasser et, de manière certaine, que je pourrais relire immédiatement en y découvrant des choses nouvelles.
Une autre certitude : Une vie après l'autre fera partie des rares livres que j'aurai lu plusieurs fois.
(1) Ici, vous ne saurez rien d'un tel monde, la loupe de Kate Atkinson n'allant pas au-delà du fameux coup de feu. Si certains lecteurs y trouvent plus ou moins un lien avec l'uchronie, j'ai un peu de mal à le situer. (Mais je remercie cette manière de voir les choses puisqu'elle m'a fait découvrir cet admirable roman).
(2) Beaucoup d'interventions des personnages relativisent cet a priori, laissant le lecteur placer le roman dans la catégorie qu'il souhaite. (Page 526 : « Si elle pouvait remonter le temps et [...]. C'était le problème avec les voyages dans le temps (outre leur impossibilité) [...]. » Ou bien, page 534 : « Nous n'avons qu'une vie, après tout, nous devrions essayer de faire de notre mieux. » Ou bien encore, page 571 : « Mais si Hitler avait été tué avant de devenir chancelier, ça aurait empêché tout ce conflit entre les Arabes et les Israéliens, non ? »)
(3) Les multiples morts et recommencements d'Ursula ou d'autres personnages peuvent tout à fait s'expliquer par des réflexions personnelles, non dites, qu'Atkinson nous confie de manière heureuse mais sans répit tout au long du roman ; la force de ce roman selon moi.
(4) Dans Mother London, où il s'intéresse de près... aux gens, prétextant de la télépathie pour justifier ce regard là où Atkinson use d'observation méticuleuse, de réflexion sur les conséquences des actes, par le truchement des retours sur le déroulement de l'Histoire (ou des histoires, Ken Liu allant même jusqu'à dire que Celle-ci ne découle que de celles-là. Patin couffin...). (C'est qui, Liu ? Un nazi ? Non, pas vraiment. Ceux qui ont lu Une vie après l'autre comprendront.)
(5) Qu'on ne s'y trompe pas, la bienveillance a ses limites, même chez Atkinson. Et si Hitler, par définition, ne passe pas le concours d'entrée, l'immonde Derek non plus et, de manière curieusement moins tranchée, Howie et Maurice pas davantage.
(6) Je crois qu'Ursula pense à un moment quelque chose comme « bienheureux ceux qui n'ont pas de doutes » mais je ne retrouve pas le passage, pardon.
(7) Vécu ?
(8) Cela sonne néanmoins très sombrement vrai, parfois : « La seule façon d'arrêter les larmes était de continuer à boire du whisky ».
(9) Allez zou, au point où j'en suis : avec cette dernière intervention inutile, je souscris à un vieux pari qui était de faire davantage de notes de bas de page que de billet. Ne me remerciez pas, ça me fait plaisir...
Qui d'entre nous peut dire qu'il n'a jamais tenté l'expérience de pensée « et si Hitler... » ?
Ou bien, de manière plus... « pragmatique », qui ne s'est jamais demandé ce qu'aurait été sa vie s'il avait agi différemment dans telle ou telle circonstance ? Et, ce que l'on retrouve en filigrane dans le roman mais de manière soutenue : qui ne s'est pas surpris dans une situation qu'il lui semblait avoir déjà vécu, suggérant cette impression de déjà-vu, familière pour un grand nombre d'entre nous ?
D'une manière radicalement différente de celle de Moorcock (4) et sur un plus petit échantillon, l'autrice se penche sur une portion d'humanité et l'observe, la détaille méticuleusement, d'une manière bienveillante sinon amicale. (5) Si Ursula reste le point central, les bifurcations qu'elle (et parfois d'autres personnages) emprunte me paraissent parfois si différentes qu'elles font de l'héroïne une figure universelle.
Hitler ? Difficile de l'observer de près ou de lui prêter une pensée cohérente... Il reste néanmoins un excellent point focal pour situer le roman dans une période (largement installé sur les deux guerres, donc) durant laquelle il n'a pas dû être plus rare qu'aujourd'hui de frôler, voire côtoyer, des personnes en proie aux choix, au doute... (6)
Minutieux et riche, d'une justesse de vue et porteur de nombreuses réflexions, le roman, bien que traversant de bien sombres périodes, reste parsemé d'humour sincère (7) sinon d'éclats de rires qui peuvent « adoucir l'ambiance » et arriment encore un sentiment d'authenticité ressenti de la première à la dernière page. (8)
Bref, c'est une merveille dont je pourrais discuter pendant des heures sans me lasser et, de manière certaine, que je pourrais relire immédiatement en y découvrant des choses nouvelles.
Une autre certitude : Une vie après l'autre fera partie des rares livres que j'aurai lu plusieurs fois.
(1) Ici, vous ne saurez rien d'un tel monde, la loupe de Kate Atkinson n'allant pas au-delà du fameux coup de feu. Si certains lecteurs y trouvent plus ou moins un lien avec l'uchronie, j'ai un peu de mal à le situer. (Mais je remercie cette manière de voir les choses puisqu'elle m'a fait découvrir cet admirable roman).
(2) Beaucoup d'interventions des personnages relativisent cet a priori, laissant le lecteur placer le roman dans la catégorie qu'il souhaite. (Page 526 : « Si elle pouvait remonter le temps et [...]. C'était le problème avec les voyages dans le temps (outre leur impossibilité) [...]. » Ou bien, page 534 : « Nous n'avons qu'une vie, après tout, nous devrions essayer de faire de notre mieux. » Ou bien encore, page 571 : « Mais si Hitler avait été tué avant de devenir chancelier, ça aurait empêché tout ce conflit entre les Arabes et les Israéliens, non ? »)
(3) Les multiples morts et recommencements d'Ursula ou d'autres personnages peuvent tout à fait s'expliquer par des réflexions personnelles, non dites, qu'Atkinson nous confie de manière heureuse mais sans répit tout au long du roman ; la force de ce roman selon moi.
(4) Dans Mother London, où il s'intéresse de près... aux gens, prétextant de la télépathie pour justifier ce regard là où Atkinson use d'observation méticuleuse, de réflexion sur les conséquences des actes, par le truchement des retours sur le déroulement de l'Histoire (ou des histoires, Ken Liu allant même jusqu'à dire que Celle-ci ne découle que de celles-là. Patin couffin...). (C'est qui, Liu ? Un nazi ? Non, pas vraiment. Ceux qui ont lu Une vie après l'autre comprendront.)
(5) Qu'on ne s'y trompe pas, la bienveillance a ses limites, même chez Atkinson. Et si Hitler, par définition, ne passe pas le concours d'entrée, l'immonde Derek non plus et, de manière curieusement moins tranchée, Howie et Maurice pas davantage.
(6) Je crois qu'Ursula pense à un moment quelque chose comme « bienheureux ceux qui n'ont pas de doutes » mais je ne retrouve pas le passage, pardon.
(7) Vécu ?
(8) Cela sonne néanmoins très sombrement vrai, parfois : « La seule façon d'arrêter les larmes était de continuer à boire du whisky ».
(9) Allez zou, au point où j'en suis : avec cette dernière intervention inutile, je souscris à un vieux pari qui était de faire davantage de notes de bas de page que de billet. Ne me remerciez pas, ça me fait plaisir...
Une merveille, on est d'accord ! Que je n'ai jamais réussi à chroniquer d'ailleurs !!
RépondreSupprimerCoucou Lune,
SupprimerJe suis en train de me demander si quelqu'un n'aime pas Atkinson...
Sais-tu qu'il y a "une suite" en fait ce serait l'histoire du frère d'Ursula, ça s'appelle L'Homme est un dieu en ruine. Je ne l'ai pas lu, je ne sais pas ce que ça donne !
Supprimeroh et pour le lien avec l'uchronie : c'est une uchronie personnelle, le point de divergence étant une décision que l'on prend dans sa vie, ici il se trouve qu'elle peut changer ses actes et décisions pour essayer de ne pas mourir. Dans le style, tu as Mes Vrais enfants de Jo Walton !
SupprimerJe connaissais l'existence de cette suite et puis je l'ai oubliée.
SupprimerMerci pour le rappel, je l'ajoute à ma liste.
Il y a effectivement un jeu entre passé et présent (qui, à mon sens, se passe uniquement dans l'esprit d'Ursula) mais je n'ai rien cru lire qui fasse de ce roman une uchronie. Pas de point de bascule qui aurait modifié l'Histoire (avec un « H »). Et puis, techniquement, si on pousse un peu loin, la moindre action (de la plus importante à la plus insignifiante) est le résultat d'une décision.
Ici, sauf erreur de ma part, rien n'indique que les « retours dans le passé » ont réellement eu lieu. Il ne s'agit peut-être que des réflexions d'Ursula se demandant « et si ça s'était passé autrement ? ».
Si mon robot traducteur ne me ment pas, la quatrième de couverture de l'édition anglaise ne fait aucune allusion à un changement « de la face du monde », comme le fait la française. J'ai cru y voir une... « manière discutable » de vendre des livres.
Mais je n'en discuterai pas ici, l'important étant d'attirer l'attention sur ce livre.
Je me répète mais l'uchronie personnelle est bien une branche de l'uchronie sauf qu'elle ne concerne pas l'Histoire avec un grand H en effet, mais l'histoire de vie du personnage.
SupprimerAprès l'interprétation est laissée à l'appréciation de chacun quant à savoir si Ursula meurt vraiment ou pas. J'ai apprécié ma lecture en "croyant" au côté SF ;-)
Ah, merci pour l'info, je n'avais jamais entendu parler d'uchronies personnelles. Du coup, je suis allé chercher d'autres sources qu'Henriet, Barets et Guiot, les seules que je connaissais. Effectivement, Apophis, sur son blog, en fait mention. J'en prends bonne note.
SupprimerPour le reste, nos avis divergent.
Dans Replay, par exemple (qu'Apophis donne en exemple tout en disant que ce n'en est pas vraiment, je n'ai pas lu les autres romans cités), à mon souvenir, il y a un témoin. Unique, je crois, mais c'est suffisant pour « prouver » que les recommencements ont bel et bien lieu. De manière «
réelle » (pour ce que ce terme veut dire). L'Histoire en est changée, par cet unique témoin. Sauf erreur de ma part, cela n'arrive pas dans le roman d'Atkinson (les yeux du lecteur ne content pas).
Mais ce n'est pas bien grave d'avoir un désaccord. Ça arrive tout le temps. Le principal, c'est que nous ayons apprécié ce livre et que nous incitons (enfin... j'espère !) d'autres personnes à le lire.
« Bon. Si tu es content, c'est le principal », disait ma mère. Elle n'avait pas tort.
Ah j'ai de la chance qu'Apophis en parle :')
SupprimerSi jamais tu ne l'as pas lu, je te conseille Le Guide l'uchronie de Karine Gobled et Bertrand Campeis, c'est là que j'ai découvert le concept d'uchronie personnelle et que j'ai compris que j'en avais déjà lu et apprécié avant !
Soyons d'accord pour être en désaccord, cela dit ce n'en est pas un, c'est une interprétation différente (disons que je n'ai pas besoin d'un témoin dans le livre : le doute plane, je choisis le côté SF, mais ça n'empêche pas de voir plusieurs niveaux au texte - d'ailleurs c'est pareil dans Mes Vrais enfants de Jo Walton)
Ta mère avait bien raison !
Depuis le temps que tu me parles de ce livre, je devrais peut essayer... mais j'ai été refroidi par Le temps n'est rien, alors je vais attendre un peu. ;-)
SupprimerSinon Mes vrais enfants est un chef d'oeuvre. ;-)
Ça n'a rien à voir mon Yogo. Atkinson me fait pas dans la romance !
SupprimerNe*
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